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Publié le par Juliette Mézenc

Je flotte dans un vert d’eau. Tout, autour de moi, s’y baigne sans retenue. Mon corps repose à l’horizon, il est loin, ne me répond pas lorsque je lui parle. La liaison est rompue. Au début, il y a longtemps, ça m’effrayait. Mon corps aussi, ça l’effrayait, il en tremblait. Et puis l’homme a fait le vert dans la pièce. Depuis je m’y abandonne. J’ai beaucoup moins peur. L’homme aujourd’hui évolue poisson-chat entre mes paupières entrouvertes. Il fait le ménage. A ses mains des chiffons qui font des taches de couleur en mouvement. Je les suis des yeux.

 

Je suis. Je ne bouge pas. Je flotte. Je suis du bois flotté. Parfois je pleure sur la vitre. Mes larmes tambourinent s’écrasent zigzaguent. Et je m’endors.

 

Il a mis un verre d’eau sur la table à mon chevet. C’est un verre de cantine. Je regarde par en dessous. J’ai un an. Je comprends pourquoi je ne marche pas, pourquoi je ne parle pas. Je suis rassurée au plus haut point. Je me rendors.

 

Je fixe longtemps l’imprimé fleuri de mon dessus de lit.

 

J’ai remarqué qu’il me mettait au vert seulement quand la lumière était trop vive. Aujourd’hui mes yeux lui ont réclamé le vert plus souvent. Il a compris. Depuis les rideaux légers sont constamment tirés.

 

La nuit, il branche une veilleuse qui diffuse une clarté vert halo. Cette obsession du vert. Est-ce que c’est normal ?

 

Il s’est assis sur le lit à hauteur de mes genoux. Il a posé sa main sur mes genoux et j’ai senti, à travers le drap la couverture et le dessus de lit, le poids de sa main. J’ai senti sa rugosité. J’ai senti sa douceur. Tout est passé de ses yeux à sa main, de sa main à mes genoux, tout est remonté des genoux à mon ventre, de mon ventre à mes yeux. Tout est descendu sur mes lèvres. Et je crois qu’ensuite, j’ai souri.

 

J’entre dans le vert, je m’y dissous. Une brume verte. Elle m’absorbe, s’insinue dans mes veines. Elle me drogue en douce, elle est ma verveine, elle me drogue en douceur. Elle s’insinue doucement dans mes veines. Le monde, celui qui chaloupe sur talons hauts, celui qui blesse sur ses ergots, celui qui attise et puis qui blesse, le monde qui met en coupe réglée, le monde s’éloigne. Je suis à l’abri dans la mare.

 

Un cargo sort de la brume. Il a les mains lentes et le geste sûr. Ses flancs me frôlent alors qu’il me fait basculer sur le côté pour changer sous moi le drap. Le nouveau est bleu clair. Je plonge dans la fraîcheur d’un lit tout neuf.

 

Femme côté nord

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