petite racine conduit vite et bien

Publié le par Juliette Mézenc

"Kilomètre 121

A rouler continûment, sur cette route sans contexte et sans distraction, on peut accélérer, penser à autre chose. Aux enfants. En ligne droite, à la cinquième vitesse, c'est tendre de penser à eux, de sourire un peu.

Leur présence s'est imprimée d'une telle façon qu'elle est effective même quand ils sont loin. Leur présence, c'est à dire avant tout leur corps : leur corps qui chaque jour diffère et se meut, leur corps impermanent est un, singulièrement distinct des autres corps. On peut échafauder à leur propos un jeu des mille différences : lui plus comme ci, elle très comme ça. Distinguer, délimiter, départager. Le frère et la soeur. L'une est un galet, lourde et lisse. Chacune de ses préhensions est possession. L'autre est vif et diffus : banc d'alevins qui traversent et entoure et trouble et argente l'eau. Change de direction et de la couleur à la moindre ombre qui passe dessus. Et parfois aussi, reste et ondoie, tranquille et néanmoins frémissant, réactif aussi bien que s'il était un, et pourtant il est multiple. Tandis qu'elle, le lit de la rivière est à elle. Belle de mesure, d'équilibre. Lui : ce qui l'effleure est fluide. Elle : ce qui la constitue est dense. ça fait plaisir de se dire les choses comme ça : attribuer à chacun ses qualités, son territoire. Se dire que ses enfants sont comme des jardins dont on reconnaît tout de suite la terre particulière. Des jardins familiers, où il serait possible d'entrer quand on veut, pour se reposer. C'est faux, bien sûr, parce qu'un enfant, suffit d'en avoir un pour savoir que ce n'est pas une place où trouver le repos."   

 

Un extrait de Contact (parmi les nombreux que j'avais retenus à la lecture) de Cécile Portier, collection Déplacements au Seuil.

Vous pouvez également télécharger son excellent Saphir Antalgos sur Publie.net (nouvelle possibilité d'abonnement pour 6 euros par mois, kdo), suivre son blog ici ou encore les ateliers d'écriture qu'elle donnera cette année à Aubervilliers ici. J'ai sans doute oublié quelque chose, cette femme est une fractale !  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Publié dans lectures

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