ici ça rêve
photo ; martine bousquet
4 février
ici ça
ici ça rêve
ça rêve même dur
5 février
Empruntons maintenant cette échelle de meunier, tenez-vous fermement aux montants, qui nous conduit tout naturellement à cette vaste salle commune au cœur de laquelle – prenez le temps de lever la tête pour admirer ces admirables stalactites aux couleurs étrangement mordorées qui font la fierté, et cela à juste titre, de tous les maires, quel que soit leur bord, qui se sont succédé depuis la création de votre ville – au cœur de laquelle donc s’amoncèlent depuis la nuit des temps des chiffons, oui vous avez bien entendu, de vulgaires et banals chiffons, qui forment cette étonnante montagne au pied de laquelle nous nous trouvons. Approchez-vous un peu et vous pourrez apprécier les détails et notamment les souillures, les taches pestilentielles – fort heureusement ici on ne peut rien sentir, l’odorat est un sens pour un temps oublié – les graisses et la crasse qui maculent ces chiffons. Il faut dire qu’ils n’y vont pas de main morte pour récurer, démerdifier, détacher, débarbouiller, décrasser, désaucer, débêtifier, délaver et tout bêtement nettoyer les plaies, les ulcères, les culs merdeux, les abus de bien sociaux, les petites mesquineries qui suintent, les blessures qui s’infectent mais du moment que ça reste dans la famille, les jambes écrasées sous les capitaux de sociétés pourtant bien cotées, les poumons infectés par les discours haineux ou fumeux ou les deux, tout le malheur du monde est ici retraité, digéré, méprisé, occulté, plus ou moins. Plutôt plus que moins. C’est à ce prix que les humains brillent en société, brillent à tel point que ceux qui ne font pas partie du cercle et qui souhaitent – comment ne pas le souhaiter – y entrer sont contraints de les imaginer sur leurs chiottes pour oser, enfin, pour oser respirer. La boucle est bouclée à l’or fin.
Vous n’êtes pas sans remarquer que la coupe est pleine, le haut de la pile menace les vénérables stalactites et je ne donne pas cher de ceux qui viennent ici régulièrement laver leur linge en famille. Personne ces temps pour faire un peu de tri là-dedans, remonter les chiffons cracra pour les étendre sur un fil, qu’ils claquent et pas qu’un peu, au soleil du plein midi, de dieu ! Personne. Paraît que c’est pas rentable. Advienne que pourra, nul n’est prophète en son pays, tant va la cruche à l’eau qu’elle se casse, l’autruche a la tête au chaud et le derrière au frais bien exposé
6 février
etc vous connaissez la chanson ! Passons.
Nous arrivons maintenant dans une sorte de débarras [...]
Le journal du brise-lames